Échec aux Grands Cardinaux
Échec aux Grands Cardinaux,
Je parle bien du phare qui se trouve au large de l’île d’ Hoëdic, de l’estuaire de la Vilaine et du Croisic. Un triangle familier des navigateurs et de la SNSM. Quelle drôle d’histoire, parler d’un plantage, à notre époque. Bien entendu cela ne concerne qu’un loisir mais, qui ne peste pas lors du ratage de ses actions. Cela peut venir d’un gâteau, d’une mayonnaise ou d’une sortie en vélo. Dans notre cas c’est simplement un accès sur le rocher d’un phare.
Essayez aussi, en France, de trouver un ouvrage ou une revue, (hormis Philosophie magazine) qui parle de l’échec… Ils sont rares. L’un d’entre-deux vient de sortir (fin 2016) de Charles Pépin, philosophe et professeur. Le titre, « Les vertus de l’échec ».
Chez les Anglo-saxons, l’échec est pris comme une nouvelle épreuve et un moyen de rebondir, d’évoluer. Monsieur Edison disait : « Je n’ai pas raté mille expériences mais, mille expériences qui n’ont pas abouties »
Aller, la journée démarre.
Je ne vous reparle pas de l’histoire de ce phare et notamment la bataille des Cardinaux que, je vous ai narré auparavant. En revanche pour relire cet écrit, il suffit de cliquer ici. Bonne lecture.
L’objectif du jour, l’activation du phare des Grands Cardinaux, phare difficile, classé dans les enfers par l’administration des phares et balises de l’époque. Ce phare des Grands Cardinaux est situé donc au Sud-Est, ± 120° de l’île d’Hoëdic, à environ 1,5 miles nautique de celle-ci. Pour les radio-Amateurs et les SWL, c’est dans le locator IN87NH, qui fait partie des rares locators très recherché par les chasseurs.
Mon point de départ c’est le port du Croisic situé au 95° environ du phare. Cela fait deux mois environ que j’attends de sortir. Soit la mer n’est pas très praticable, ou les horaires de marées ne correspondent pas, soit je suis pris. Finalement, début juin je prends la mer.
Mise à l’eau,
Officiellement je pars simplement explorer le site des roches des Cardinaux, mais étant prévoyant, pourquoi ne pas emmener une station radio portable décamétrique, au cas où !
Arrivée sur le port du Croisic pour la mise à l’eau du bateau, il est 8h00 du matin, température 6°, vent d’Est et marée de coefficient 80. Un peu élevé pour aborder un phare en mer, avec les moyens mis en œuvrent.
Pour commencer arrivé sur place, de l’agitation, la cale est encombrée… Un véhicule est garé en travers de la cale, la remorque dans un sens et le gros 4×4 urbain dans l’autre. Bien sûr, immatriculé dans la capitale. J’entends un « Plouc, plouc, plouc » mais, ce n’est rien, simplement le pot d’échappement de la voiture qui est à demi bouché par les vaguelettes de l’océan. Pas besoin de descendre le bateau avec le treuil car, tout est immergé…Finalement, je vais le trouver et lui demander s’il a acheté la cale…
Enfin l’océan,
Enfin, je descends le navire et prends le chenal du Tréhic, je double le musoir de la jetée du phare et file sur la balise Basse Hergo afin de prendre la mer. La route est longue, 14 miles nautiques pour accéder au Grands Cardinaux. Je mets le cap au 272°. Peu ou pas de vagues, après 5 miles de route je laisse à bâbord, le phare du plateau du four et la cardinale nord, « Bonen du Four ».
Il me reste à peine 8 miles, je file à 20 nœuds car la mer s’est aplatie complètement, même pas de clapot.
J’arrive en vue du Phare des grands Cardinaux, il y a du mouvement au loin, la mer est haute. Je vais approcher le socle du phare, le plus dangereux sont les roches à fleur d’eau.
J’approche doucement la base du rocher, je comprends les inquiétudes des marins. Un petit raclement me signale une tête de roche invisible à première vue. j’attaque la face Sud-Est, là où les anciens ont accédé au rocher pour la construction du phare. Une petite plate-forme est immergée, un escalier à son sommet. Sur la droite une solide échelle de fer, brisée à la base, avec les extrémités acérées.
Face à face,
Vous pouvez apercevoir les roches sous l’eau transparente. Sur la photographie de droite un de mes « Bout » laissé en place et l’escalier de fer.
J’ai étudié la carte des courants marins du SHOM. Ceux-ci changent de sens à la bascule de marée, ils restent neutres pendant l’étal.
Je tente d’aborder par l’échelle de fer mais, l’on se croirait dans un siphon de toilettes. Entre la montée et la descente de la mer, il y a environ un mètre d’écart. Le bateau monte et descend au gré des flots. Ce qui devait arriver, arriva, je suis à l’aplomb de l’échelle. Le bateau remonte brusquement et le boudin bâbord est écrasé sous les extrémités de celle-ci. Je monte sur le boudin, pèse de tout mon poids pour tenter de la dégager. Malgré ma masse de 90 Kilogrammes, je danse dessus, impossible, j’imagine déjà le boudin percé hihihi. Finalement il tient le coup, les pare-battages souffrent et tiennent aussi le choc. Dès le creux de vague je parviens à placer un coup d’accélérateur et dégage le bateau.
Prenons l’escalier,
Finalement, je décide d’attaquer par l’escalier, logique, non…Jusqu’à un mètre de la plate-forme pas de souci, le bateau est stable. Plus près, impossible, le bateau est projeté sur la roche. Heureusement j’ai bardé de pare-battages, pas moins de six grosses tailles.
Dans un moment de plus calme, j’arrime l’arrière du bateau avec un filin. Je saute sur la plate-forme du phare et vais accrocher le mousqueton sur l’anneau du phare. Il me reste à sortir le matériel et hisser notamment la batterie de 105 Ah sur la plate-forme.
Malheureusement Murphy est avec moi, ce jour-là. Pendant que j’inspecte le rocher pour m’installer, le bateau est ballotté par les vagues. Soudain le nœud qui maintient le pneumatique glisse et le voila libre soudainement. Finalement, sans réfléchir je dévale la pente et me jette à l’eau pour rattraper le bateau qui commence à s’éloigner. Il était temps, je redémarre et vais m’ancrer un peu plus loin, le temps de récupérer. Finalement après plusieurs tentatives infructueuses et plus de deux heures trente, je jette l’éponge. Je suis vanné, mon bout va rester accroché sur le rocher, sûr que quelqu’un va en profiter et c’est tant mieux.
Changement de stratégie,
Je décide de plier bagages et de rentrer en passant par le plateau du Four et éventuellement activer le phare.
La mer est quasiment basse lorsque j’arrive à destination. Il ne reste que trente centimètres d’eau. Je longe la jetée du Four et amarre le bateau. Je décide, avant de déplier le matériel radio, de prendre quelques photographies. Je descends sur les rochers afin d’explorer une nouvelle fois le coin. Soudain, je glisse l’appareil photo à la main et en service. Comme Murphy est toujours présent, le trou fait 1,80 mètres de profondeur, je m’accroche tant bien que mal. Mais, c’est trop tard, l’appareil numérique est hors service. Toutes les photos de la journée, notamment celles des Grands Cardinaux sont perdues.
Naviguant seul en mer, je prends toutes les précautions possibles et réalisables afin de me protéger et de ne pas déranger d’éventuels sauveteurs. Je porte systématiquement un gilet gonflable de survie automatique. Le principe est simple, il se gonfle au contact de l’eau, lors de chute ou de stagnation dans cet élément liquide. Finalement lors de ma chute, je me retrouve une nouvelle fois avec mon gilet percuté et donc gonflé…
Le côté positif, mon gilet fonctionne correctement. Un peu comme un AGCP* qui se déclenche sur une installation ou un ouvrage électrique. C’est tant mieux, cela prouve qu’il est en état et fonctionne.
Finalement,
Découragé, grelottant, je décide de laisser le matériel radio dans le bateau. Je m’allonge sur la jetée au soleil afin de faire sécher mes vêtements. J’en profite pour sortir la carte SD de l’appareil et la faire sécher au soleil. Je ne rêve pas, l’eau de mer c’est mortel.
Finalement, je reste au soleil pendant quelques heures car le bateau est à sec, donc impossible de repartir.
En fin d’après-midi la marée remonte et je vais pouvoir reprendre ma route. Le retour se passera bien, malgré tout, mes vêtements ont séché. Arrivé au Croisic, remontée du bateau et du matériel qui n’aura servit à rien. Retour par la route, c’est partie pour 55 kilomètres.
Pour terminer,
C’est une journée riche en rebondissements. C’est toute la difficulté d’activer des phares en pleine mer. Il faut penser à tout et accepter parfois des petits déboires. Bilan de la journée, un boudin de pneumatique abîmé, un appareil photographique fichu. Le prochain d’ailleurs sera un appareil étanche. J’allais oublier aussi une mauvaise réception, suite à glissade, une douleur persiste toujours à ce jour…
J’ai beaucoup appris de cette journée. En général, l’on apprend beaucoup de ses échecs, même si cela met les nerfs en pelote sur le moment. Je me replonge dans les livres et vais retenter prochainement cette activation du phare des Grands Cardinaux. Ce jour-là, j’espère que Murphy ira voir quelqu’un d’autre. S’il pouvait attraper le Covid, ce serait bien.
Mais il y a aussi du positif dans toute situation qui semble perdue. En rentrant de mon expédition, j’ai passé des heures à chercher ma carte SD, sûrement Hors service. Impossible de la retrouver, même après plusieurs jours de recherche. Elle est perdue à jamais, je pense.
Donc j’ai laissé tomber et passé à autre chose, notamment l’activation du phare de Penfret sur les îles Glénan. Là encore, une autre expérience acquise.
Bien après,
Quelques mois plus tard, en fouillant un de mes vieux blousons, surprise, je tombe nez à nez avec ma carte SD perdue, à jamais… Un peu de vert de gris sur les contacts. Avant de la jeter, je décide malgré tout de la connecter au micro-ordinateur. Finalement, miracle, les photographies s’affichent, ce sont celles qui figurent d’ailleurs sur ce reportage.
Merci d’avoir pris le temps de parcourir cet article. A bientôt.
AGCP* Appareil Général de Coupure et de Protection, aussi Disjoncteur